Commentary

Le parcours d'un gardien de but

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MONTRÉAL – C’est en 2011 que la vie d’adulte d’Evan Bush prend forme.


Il est alors fraîchement fiancé à Colleen, qu’il épousera après sa saison de soccer. Sa carrière prend de l’élan. La saison précédente, il avait joué 25 matchs pour Crystal Palace Baltimore. Sans qu’il ne s’en rende compte, son travail et sa vie avaient changé pour toujours le 11 août 2010 : Baltimore avait alors fait match nul, 0-0, contre l’Impact de l’époque, en deuxième division. Bush avait stoppé les 13 tirs cadrés.


« Appelez-le Harry Potter, appelez-le comme vous voulez, il a vraiment été le joueur clé sur le terrain. » Tels étaient les commentaires d’après-match de Marc Dos Santos, l’entraîneur montréalais de l’époque.


Le 11 mars 2011, six jours après son 25e anniversaire, Bush signe à Montréal – avec une plume, probablement.


On prévoit qu’il sera l’adjoint de Bill Gaudette, embauché en grande pompe pour remplacer le nouveau retraité Matt Jordan, qui se joindra au personnel technique de l’Impact.


Gaudette se blesse après deux mois d’activités. Bush remporte le Gant d’or de la NASL.


Le 21 octobre 2011, Bush fait le saut chez le nouvel Impact, celui de la MLS. Il sera l’un des quatre survivants de l’équipe de la NASL au sein du premier effectif MLS.


Puis, retour à la case départ.


Bush n’a pas encore fait ses preuves en MLS. Après des essais à D.C. United et au Seattle Sounders FC, en 2009, il rejoint le club de sa ville natale, les Cleveland City Stars, pour une saison en USSF-D2. Malgré tout, Bush espérait plus de cette saison 2012 à Montréal : il doit se contenter du troisième échelon des gardiens, derrière Donovan Ricketts et Greg Sutton.


Bush fait ses débuts en MLS le 30 juin 2012 dans une défaite de 3-0 à Washington. Un mois plus tard, il est le joueur du match dans une défaite aux tirs au but contre l’Olympique Lyonnais. Greg Sutton prend sa retraite à la fin 2012, ce qui officialise le passage bien mérité de Bush au poste de second derrière Troy Perkins, arrivé de Portland à Montréal à la mi-saison en retour de Ricketts.


Il passe une autre étape à la fin 2014, lorsqu’il s’établit comme partant alors que l’Impact, en queue de peloton, regarde déjà vers l’avenir. Le départ de Perkins à l’entre-saison permet à Bush de troquer son maillot no 30 pour celui du no 1, un symbole lourd de sens.


« Je viens de lire un article sur les Red Bulls et sur ce qu’ils ont à prouver, raconte Bush en entrevue avant l’entraînement de l’équipe, entre deux bouchées d’un fruit. Je me rappelle la première année de Jesse [Marsch] ici : lorsque j’ai signé, on m’a donné le rôle de troisième gardien. J’ai alors senti que j’avais moi-même quelque chose à prouver à cause de ça. Je respecte Jesse. Je crois qu’il fait un travail formidable. Mais je peux le remercier de m’avoir donné quelque chose à prouver. »


Le chemin qui a mené jusqu’ici a été cahoteux, mais Bush peut voir le bon côté des choses. Être privé de temps de jeu donne le temps de réfléchir à son gagne-pain, à son jeu, à sa position.


Bush reconnaît qu’il n’est devenu gardien que parce qu’il en fallait bien un, plusieurs années après qu’il ait commencé à jouer – comme attaquant ou comme demi, jamais comme défenseur. Il savait se servir de ses mains : c’est d’abord en basketball, et non en soccer, qu’il a été sélectionné dans l’équipe de l’État de l’Ohio.


« La coordination œil-main, la puissance athlétique, l’esquive, la rapidité, l’explosivité, énumère Bush en parlant des apports du basketball à sa carrière en soccer. Le basketball n’a nui qu’à mon recrutement après l’école secondaire. J’ai abouti dans un excellent programme universitaire [les Zips de l’Université d’Akron], mais c’est le seul programme de la division I de soccer qui m’a remarqué. C’est en hiver qu’ont lieu tous les tournois où les jeunes se font voir, et je jouais au basketball. J’ai donc raté cette occasion de me faire connaître avec mon club. »


Des années plus tard, l’ancien arrière – « ou ailier, quelque chose comme ça », se remémore Bush – remportera le Gant d’or à titre de meilleur gardien de la Ligue des champions de la CONCACAF 2014-2015.


Voilà un prix qui a rendu Youssef Dahha, le sympathique et compétent entraîneur des gardiens de l’Impact, bien fier. La productive relation de travail entre Dahha et « Bushie » est fondée sur le respect mutuel. Ils ne s’entendent certainement pas sur tout. Leurs « différences culturelles » dans leur conception de la position de gardien, souligne Bush, suscitent de sains débats – né en Belgique, Dahha est d’origine marocaine.


Ces discussions, ces réflexions, cet aspect intellectualisé de la position – le résultat de son caractère unique dans les sports collectifs –, voilà une part de l’attrait de la position, selon Bush.


« Les plus infimes détails sont très importants, précise-t-il. Tu peux vraiment te consacrer à ces détails. Demande à ma femme, et elle dira que je suis un peu obsessif compulsif, même en ce qui a trait à l’organisation à la maison, par exemple. C’est peut-être ce qui se passe. »


Sans surprise, Bush étudie la possibilité de devenir entraîneur plus tard. Non seulement porte-t-il un regard analytique sur le jeu, mais il a acquis une expérience pertinente et variée; s’il n’a pas fréquenté beaucoup de vestiaires, il a néanmoins joué pour six entraîneurs en cinq ans (Dos Santos, Nick De Santis, Marsch, Marco Schällibaum, Frank Klopas et Mauro Biello). Il a son idée de ce qui fonctionne ou pas.


Maintenant âgé de 29 ans, Bush compte le plus d’ancienneté à l’Impact – avec Hassoun Camara. Son évolution a en quelque sorte suivie celle de l’équipe. Tandis que l’Impact des débuts en MLS alignait un gardien reconnu pour ses exploits sur sa ligne et des défenseurs aspirant à des transitions rapides vers l’avant, Bush s’est efforcé d’améliorer son jeu balle au pied.


« La capacité de jouer avec ses pieds est maintenant cruciale pour ce que l’équipe veut faire, non seulement pour s’aventurer loin de sa ligne, mais aussi pour construire le jeu, explique Bush. Lorsque les partisans de notre ligue voient des gars faire de gros arrêts, un Ricketts qui s’étend de tout son long pour stopper un tir au coin supérieur, des gars qui ne sont pas nécessairement habiles de leurs pieds, mais qui font de gros arrêts, ils ne comprennent pas que l’équipe en souffre puisqu’elle ne peut pas construire à partir de la défense. Ils ne peuvent pas jouer avec leurs pieds. Quand je regarde à l’échelle de la ligue, je constate que c’est une des plus grandes améliorations que j’ai apportées à mon jeu depuis quatre ou cinq ans. »


La présence d’un « monstre » devant, comme le souligne Bush en parlant de Didier Drogba, ne nuit pas. Le jeu aérien de Drogba décuple les options pour Bush et accroît la possibilité que même un ballon raté puisse être réchappé.


Sous l’impulsion de Drogba, l’Impact se retrouve en phase finale Audi de la Coupe MLS 2015 – et Bush garde toujours son filet. Il y aura eu des embûches en chemin – la défaite à domicile contre New York City FC, par exemple. Mais Bush aura aussi réussi des arrêts surnaturels, un peu sorciers.


Ce dimanche, l’Impact retrouvera le Columbus Crew SC pour le match retour de la demi-finale de l’Est. Retour en Ohio, à la maison – enfin, à quelque deux heures et demie de route de la maison. Bush demeure fier de ses origines, la région de Cleveland, où « personne ne se raconte de conneries ».


Trop penser à ce retour chez soi lui a déjà nui. Bush a défendu le filet montréalais trois fois à Columbus. Sa seule victoire est survenue plus tôt cette saison, alors qu’il avait tenté de se détacher de ses émotions.


« Pour jouer un bon match et pouvoir profiter des moments après le match avec ma famille, je dois faire comme si c’était n’importe quel autre match, avance Bush. Je crois que ma famille et mes amis ont fini par comprendre. Je ne crois pas que je vais leur trouver des billets cette fois. À eux de se débrouiller. Les matchs de saison régulière, c’est une chose. Je peux les aider. Pour les matchs de phase finale, en plus de la limite qu’il y aura probablement pour le nombre de billets, je ne veux pas me donner ce mal et penser à autre chose que le match lui-même. »


Les familles de Colleen et d’Evan Bush vivent toujours en Ohio, loin des petits-enfants. Le couple a eu deux enfants à Montréal – Isabella a deux ans, Canaan a dix semaines. La famille devrait retourner vivre aux États-Unis après la carrière d’Evan, question de se rapprocher des leurs.


Mais il y aura toujours une place de choix dans le cœur de Bush pour sa ville actuelle. C’est ici qu’il a progressé et prospéré.